Portrait de Julien Boschet à la manière d'Emile Zola
Julien
Boschet, dans toute la force musculeuse de ses trente-cinq ans, les
cheveux longs et châtains, d’une figure aux pommettes
volontaires, encadrée par de grandes oreilles, a croisé ses
mains sèches de bûcheron sur sa chemise de lin, jonchée de paille
et de copeaux de bois ; de ses yeux vifs, il fouille les recoins
de la clairière, avec l’évidente envie de repérer un siège
où s’asseoir pour manger son quignon de pain ...
Portrait de Joseph Tenoux à la manière de Félicité de Genlis
Je
ne t’apprendrai point, mon cher frère, que nous, les tailleurs
d'habits, avons parfois la sinistre réputation auprès des habitans
de nos campagnes d'être des coureurs de jupon. Voilà plusieurs mois
que la couturière de Madame Querbouet est alitée et j'ai dû lui
faire quelques habits car elle doit marier sa petite dernière. Ainsi
ai-je pu arrondir ma bourse sous l'oeil attentif de la mère.
Laissons dire. Sais-tu que Marie Guilloux, celle que nous appelions
la chouette, est heureusement accouchée ce matin, quatre janvier,
d'un garçon ; c'est son septième. Elle a été le faire
baptiser à La Trinité car elle ne voulait point que ce fut le
prêtre jureur qui l’oigne. Celui-ci prends des pierres et des
coups et ce n’est pas la garde de Josselin qui est capable de le
protéger même si, mandée par une estafette, elle a réussi une
dernière fois à le sortir du Presbytère avec sa bonne qu’il a
engrossée. Aujourd'hui, je couds des habits pour toute la maisonnée
et voilà quelqu'un qui me paie ce que je lui demande sans rechigner
ni vouloir me donner poules ou canards, salades & légumes dont
avec Perrine nous ne ne savons parfois plus quoi faire. Je me fournis
en tissus à Josselin car dans le pays il n'y a plus cette activité
de tissage du lin qui avait rendu la vie plus facile aux laboureurs...
Portrait de Eugène Tenoux à la manière de Céline
- C'est pas vrai ! La race,
ce que t'appelles comme ça, c'est seulement ce grand ramassis de
miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué
ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus
vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus
loin à cause de la mer. C'est ça, la France, et puis c'est ça, les
Français. En Bretagne, la seule race qu'il y a c'est la pie noire.
- Tenoux, qu'il me fait
alors gravement et un peu triste, nos pères nous valaient bien, n'en
dis pas de mal !
-
T'as raison, René, pour ça t'as raison ! Haineux et dociles,
violés, volés, étripés et couillons toujours, ils nous valaient
bien ! Tu peux le dire ! Nous ne changeons pas ! Ni de chaussettes,
ni de maîtres, ni d'opinions, ou bien si tard, que ça n'en vaut
plus la peine. On est nés fidèles, on en crève ! Soldats gratuits,
héros pour tout le monde et singes maudits, mots qui souffrent, on
est nous les mignons du Roi Misère. C'est lui qui nous possède !
Quand on est pas sage, il serre... On a ses doigts autour du cou,
toujours, ça gêne pour parler, faut faire bien attention si on
tient à pouvoir manger... Pour des riens, il vous étrangle... C'est
pas une vie... tout est changé.
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